Un train au pied du Mont-Blanc
Histoire et technique du Mont-Blanc Express

Construction de la ligne

Choix techniques

En France

L’écrasante majorité des lignes de chemin de fer en Europe est construite avec un écartement des rails de 1 mètre et 43,5 centimètres (1435 mm). On parle de voie normale ou encore d’écartement standard. Cependant, certains chemins de fer sont établis à voie étroite, avec un écartement des rails inférieur à 1435 mm. Cela permet de construire une plateforme moins large, ce qui réduit assez fortement les coûts de construction, notamment en montagne où l’on doit établir de nombreux ouvrages d’arts et terrassements. De plus, la voie étroite autorise des virages plus serrés (faibles rayons de courbure), ce qui permet d’envisager des tracés plus sinueux, donc plus économes en ouvrages d’art (ponts et tunnels). En Europe, les voies étroites les plus répandues sont à l’écartement d’un mètre : on les qualifie de voies métriques.

L’inconvénient principal de la voie étroite est que les trains à écartement standard ne peuvent y circuler : on doit utiliser un matériel spécifique. Cela crée des ruptures de charge : à la jonction entre un réseau à voie normale et un réseau à voie étroite, il faut transborder passagers et marchandises.

Deux entités militent pour la construction de la ligne de Chamonix à écartement standard afin d’éviter les ruptures de charge : le Ministère français de la Guerre, qui souhaite y faire circuler des convois militaires, ainsi que les tenants de la construction d’un tunnel sous le Mont Blanc vers l’Italie. Néanmoins, le PLM fait valoir que les pentes rencontrées imposeront de toute façon l’utilisation d’un matériel spécifique, et donc une rupture de charge. La voie métrique s’impose, car elle permet de réduire substantiellement les coûts de construction.

L’avant-projet fait état d’une exploitation par des locomotives à vapeur, avec deux sections à crémaillère entre Chedde et les Houches, pour un total de près de 5 km. Ces sections auraient eu une pente maximale de 12 %, contre 2 % sur le reste de la ligne. Cependant les ingénieurs du PLM introduisent dans le projet définitif, approuvé en 1895, des modifications subtiles qui ramenèrent les pentes maximales à 9 %. Le projet secret du PLM est de faire de la ligne un banc d’essais pour la traction électrique, pionnière à l’époque.

En 1897, le PLM présente aux pouvoirs publics son idée de recourir à la traction électrique. L’idée est acceptée, et on s’achemine vers une ligne alimentée par un rail conducteur disposé à côté des rails de roulement. Des centrales hydroélectriques construites et gérées par le PLM alimenteront la ligne en énergie électrique. De plus, des véhicules électriques autmoteurs étant capables de monter des pentes de 9 %, cela permet de s’affranchir de la crémaillère et de construire une ligne entièrement en adhérence simple. Ceci simplifie grandement le matériel et sa maintenance, et autorise des vitesses supérieures.

Au-delà de Chamonix, l’obstacle majeur à la liaison vers la vallée de Vallorcine et la Suisse est le col des Montets, barrant le passage. Les militaires sont favorables au franchissement du col grâce à une longue rampe à flanc de montagne, mais ce tracé n’aurait desservi aucun des villages de la vallée ! Les pouvoirs publics décident finalement de suivre le fond de vallée et de franchir le col en tunnel.

En Suisse

La ligne suisse doit relier Martigny (dans la vallée du Rhône) au Châtelard (à la frontière), où elle doit rejoindre la ligne française.

Le projet Defayes, Strub, Amrein et Gilliéron comprend un tracé par la rive gauche du Trient, pour une longueur de 18,8 km. La ligne, à voie métrique, est en simple adhérence sur la majorité du parcours, avec des pentes allant jusqu’à 70 mm/m, sauf une section à crémaillère système Strub de 2,5 km allant jusqu’à 200 mm/m. Le gabarit est le même que celui de la ligne PLM. L’alimentation électrique se fait par troisième rail, comme pour cette dernière. Cependant, la ligne suisse doit utiliser une captation du courant par caténaire dans ses trajets urbains. La ligne est sinueuse avec des courbes plus serrées que côté français.

Dans la section à crémaillère au-dessus de la vallée du Rhône, la voie ferrée et la route carrossable (route des Diligences), montent toutes deux en lacets serrés.
Dans la section à crémaillère au-dessus de la vallée du Rhône, la voie ferrée et la route carrossable (route des Diligences), montent toutes deux en lacets serrés.

Un tramway pour la ville de Martigny, lui aussi métrique et alimenté par caténaire, est également prévu.

Les principales différences par rapport à la ligne PLM sont donc :

Malgré ces différences, les deux lignes sont prévues dès l’origine pour être interconnectées, et s’échanger du matériel roulant.

1899-1901 : tronçon le Fayet - Chamonix

Schéma

Ce tronçon mesure 19,029 km. Il devait initialement être réalisé entièrement rive gauche de l’Arve, mais en 1895 une crue du torrent de la Griaz aux Houches provoque d’importantes destructions sur les terrains qui auraient été affectés à la ligne. Le tracé est donc modifié pour passer rive droite dans le secteur des Houches. Pour traverser la vallée, un imposant viaduc de pierre doit être érigé un peu en aval des Houches, le viaduc Sainte-Marie.

En 1912, une rame de Z 200 franchit le viaduc Sainte-Marie.
En 1912, une rame de Z 200 franchit le viaduc Sainte-Marie. Carte postale ancienne.

Les travaux commencent en juin 1899. Outre le viaduc, l’entreprise la plus importante est l’édification des deux centrales électriques de Servoz et des Chavants. Le rail conducteur est posé au même rythme que les autres rails, de sorte que le chantier peut être ravitaillé par des trains électriques circulant sur la voie nouvellement posée. L’alimentation est effectuée en 580 V, courant continu.

Les deux centrales électriques produisent une énergie hydroélectrique tirée de barrages établis sur l’Arve. Elles alimentent directement le rail conducteur à leur proximité immédiate. Ceci permet une alimentation satisfaisante sur tout le tronçon Le Fayet - Chamonix. Il est ainsi possible de faire démarrer un train, suivi par un autre train 15 minutes plus tard. Après un délai de 30 minutes, il est à nouveau possible de faire démarrer deux trains espacés de 15 minutes.

Les premiers essais se déroulent en janvier 1901 dans la plaine entre Saint-Gervais et Chedde, complétés des essais de freinage et de redémarrage en pente. Tout se passe à merveille.

Le premier tronçon, Saint-Gervais - Chamonix, est officiellement livré le 12 juillet 1901, date à laquelle un train spécial transporte en grande pompe les responsables du PLM de Saint-Gervais à Chamonix. L’ouverture au public de ce tronçon a lieu le 25 juillet 1901. Un immense succès commercial s’ensuit immédiatement.

1901-1906 : tronçon Chamonix - Argentière

Schéma

Le deuxième tronçon relie Chamonix à Argentière, sur une distance de 8,269 km. Il est d’un profil plutôt facile comparé au premier, et ne comporte pas d’ouvrage d’art spectaculaire. Sa réalisation ne pose pas de difficulté majeure et il est inauguré le 25 juillet 1906.

L’alimentation électrique est effectué à partir de la centrale des Chavants, via une ligne à haute-tension (le feeder) et une sous-station installée aux Îles, un peu avant Argentière.

La gare d’Argentière peu après l’ouverture de la ligne.
La gare d’Argentière peu après l’ouverture de la ligne. Carte postale ancienne.

1902-1906 : ligne suisse Martigny-Châtelard

Schéma

Les travaux débutent en novembre 1902 avant même l’approbation du tracé définitif. Celui-ci mesure 19,072 km. Le chantier ne rencontre pas de difficulté majeure, uniquement quelques imprévus qui sont le lot commun des constructions en montagne : roches moins solides que prévu, sources et poches d’eau.

La ligne suisse peut donc être inaugurée dès le 18 août 1906, soit à peine un mois après la prolongation de la ligne française vers Argentière. Elle ouvre au public deux jours plus tard. Le tramway entre Martigny-Gare et Martigny-Bourg commence son service le 24 octobre de la même année.

La construction de la ligne coûte au total 10,5 millions de francs-or (de même valeur en France et en Suisse), soit le même prix que le tronçon entre le Fayet et Chamonix de la ligne française. Ce coût dépasse de 30 % les prévisions initiales, en raison d’études préalables réalisées de façon trop superficielle.

1905-1908 : tronçon Argentière - Le Châtelard

Schéma

À l’achèvement de la section Chamonix - Argentière, le seul chaînon manquant est la liaison entre Argentière en France et le terminus de la ligne suisse au Châtelard-Frontière. Ce dernier tronçon doit franchir le col des Montets par le plus long tunnel de la ligne (1883 m de long).

Les travaux du tunnel sont adjugés à l’entreprise italienne Catella & Miniggio, la moins-disante de l’appel d’offres. Elle commence le percement le 13 août 1905. Au départ, on table sur un achèvement au printemps 1906, pour ouvrir le dernier tronçon français en même temps que la ligne suisse.

Néanmoins, le chantier du tunnel se révèle difficile car les terrains sont de mauvaise qualité par endroits, et sujets à d’importantes infiltrations d’eau. Au printemps 1906, seuls 20 % du souterrain sont percés. À ce moment, un accident de mine tue un ouvrier et en blesse grièvement un autre. Les ouvriers font grève et obtiennent une augmentation de salaire. Peu après, des pluies d’orage provoquent des infiltrations pires que d’habitude et endommagent le chantier... L’entreprise Catella & Miniggio finit par déposer le bilan.

Le chantier est alors confié à la deuxième entreprise la moins-disante. Le tracé côté Vallorcine est dévié de la ligne droite par une courbe-contre courbe pour éviter une zone apparemment infranchissable. Pour éviter les infiltrations, le nouvel entrepreneur décide de travailler l’hiver, quand les sources sont gelées. Mais en mai 1907, les infiltrations atteignent 40 mètres-cubes par minute. Il faut alors employer les grands moyens et injecter du ciment sous pression : on en emploie en tout 7 900 tonnes.

Le percement est enfin achevé le 1er novembre 1907 à 3 heures du matin. Il faut encore achever le maçonnage de 800 mètres de voûte. Au total, le tunnel coûte environ 4,5 millions de francs, contre une évaluation initiale de 1,2 millions. Huit ouvriers sont morts sur le chantier.

Rame de Z 200 à Montroc en 1909.
Rame de Z 200 à Montroc en 1909. Cette rame franchit le pont sur l’Arve à proximité de la gare. Carte postale ancienne.

La construction de la voie dans la vallée de Vallorcine ne pose pas de problème particulier. C’est le PLM qui prend en charge la construction jusqu’à la première gare en territoire suisse, Le Châtelard-Frontière, située à quelques centaines de mètres de la frontière.

Le tronçon est inauguré le 1er juillet 1908. Il mesure 9,608 km. La convention internationale est ratifiée a posteriori en 1909. Elle prévoit que ce sont les trains du Martigny-Châtelard qui desservent la gare de Vallorcine, et que c’est le PLM qui assure l’alimentation électrique jusqu’au Châtelard. La fourniture d’énergie sur Argentière - Le Châtelard est assurée par un prolongement du feeder et l’installation d’une deuxième sous-station au lieu-dit le Morzay, près de Vallorcine.

En 2008, la vallée de Chamonix fêtait l’achèvement de la ligne jusqu’à la frontière.
En 2008, la vallée de Chamonix fêtait l’achèvement de la ligne jusqu’à la frontière.

Références bibliographiques

Dernière mise à jour : 1er mai 2021. © Christophe Jacquet, 2000-2023. Mentions légales et droit d'auteur. Contact. Plan du site.
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